Liv Corfixen accompagnée de son mari, le réalisateur Nicolas Winding Refn, nous ont accordé un peu de temps pour répondre à nos questions lors de la projection de son documentaire : My Life Directed by Nicolas Winding Refn (retrouvez ma critique du film de Corfixen). Compte rendu de cette rencontre :
Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
Liv Corfixen : J’ai grandi dans l’industrie du cinéma. Ma mère était monteuse et avait travaillé avec le père de Nicolas. Nos parents se connaissaient avant nos naissances. On a dû se croiser enfants, peut-être quand on avait genre huit ans, quelque-chose comme ça. J’ai été actrice pendant une dizaine d’années, j’avais même tourné dans le deuxième film de Nicolas, aux côtés de Mads Mikkelsen. Après, on a eu des enfants, j’ai arrêté de jouer. J’ai fait une formation en psycho, je suis assez intéressée par tout ce qui touche à l’occulte, un peu comme Alejandro Jodorowsky, que l’on voit dans le film.
Nicolas Winding Refn : En plus sexy que lui !
Liv Corfixen : J’ai également fait beaucoup de photographie. Mon père était photographe. J’ai travaillé pour des magazines. Et sinon, c’est mon premier film en tant que réalisatrice.
Votre film n’est pas vraiment un making-of de Only God Forgives mais plutôt un film qui, progressivement, devient un documentaire sur le couple en allant vers la question « Est-ce que Liv Corfixen doit divorcer de Nicolas Winding Refn ?« …
L. C. : J’ai rejoint Nicolas à Bangkok le temps du tournage de Only God Forgives mais je ne savais pas du tout ce que j’allais faire de mon temps, une fois sur place. J’ai décidé de faire un making-of et au fur et à mesure, je me suis rendu compte que faire un simple making-of, ce serait un peu ennuyeux. C’est devenu un film sur nous, puis finalement un film sur moi.
C’est une décision que vous avez prise consciemment ou c’est quelque chose qui est apparu sur la table de montage ?
L. C. : Très vite, je me suis dit que je n’allais pas faire un portrait avec des interviews de gens qui allaient chanter les louanges de Nicolas en disant que c’est un génie etc… Ce que tu es bien sûr sans vouloir te vexer (rires), mais que j’allais faire quelque chose de beaucoup plus personnel parce que je suis sa femme et que j’avais une position assez privilégiée sur ce tournage. Par contre, j’ai fait des interviews de moi-même, que je n’ai pas gardé au montage, mais le fait que ce soit un film qui au fur et à mesure parle de moi, c’est quelque chose qui est apparu en salle de montage.
Pourquoi avoir sorti le documentaire aussi longtemps après Only God Forgives ?
L. C. : Déjà, il a fallu à peu près un an après notre retour au Danemark, pour trouver l’argent nécessaire pour financer la fin de ce documentaire, notamment le montage. Ensuite, il est sorti l’an passé aux États-Unis. Pourquoi est-ce qu’il sort si tard chez vous, je ne sais pas.
Pourriez-vous nous parler du choix de ce titre ?
L. C. : Le titre a été difficile à choisir. On m’a fait plein de suggestions mais il n’y avait rien qui me plaisait. Au bout d’un moment, je m’en suis remis au ciel et j’ai proposé celui-ci. Et tout le monde l’a détesté unanimement, même la mère de Nicolas. Je le trouvais très bon, un peu direct mais bon. J’aurai pu faire pire, j’aurai pu faire « Ma Vie Dictée par Nicolas Winding Refn« .
Vous n’êtes pas la première femme de réalisateur à faire un film sur le film que fait son mari. On pense forcément à Heart of Darkness (sur le tournage de Apocalypse Now et qui intègre des images filmées par Eleanor Coppola – ndlr). Vous en aviez entendu parler ?
L. C. : Je n’y ai pas pensé au début et beaucoup de gens m’ont dit de le regarder. Je l’ai vu pendant mon tournage et c’est un film très différent. C’est plus un making-of sur les coulisses du tournage, moins sur leur couple. Je l’aime bien mais je voulais faire autre chose.
Comment avez-vous ressenti le tournage pendant que vous le faisiez ? Parce qu’ironiquement, plus Nicolas doute, plus il est angoissé, et plus cela sert votre propos et cela rend votre documentaire passionnant.
L. C. : A chaque tournage de Nicolas, c’est la même chose. Il passe par des périodes d’angoisse, des peurs, des doutes. C’est toujours la même chanson. La seule différence, c’est que cette fois-ci, je l’ai filmé. C’est vraiment difficile de le supporter pendant un de ses tournages. Mais je savais aussi que plus il y avait de drames, mieux c’était pour moi. J’avais des sentiments un peu contradictoires.
Le générique dit « écrit et réalisé par Liv Corfixen« . Quelle a été la part d’écriture du film ?
L. C. : Le film s’est vraiment fait au fur et à mesure, sans écriture. C’est pourquoi j’avais autant de matière et c’est aussi pourquoi le montage fut si long. Il a fallu trois mois rien que pour dérusher, avant de commencer à monter.
Vous êtes-vous censurée sur certaines choses ? Est-ce que certaines personnes ont mis leur véto sur des séquences, voire Nicolas lui-même ?
N. W. R. : Je n’ai pas eu mon mot à dire !
L. C. : Nicolas a vu le film terminé et il fallait son accord, cela va de soi.
N. W. R. : Ouais enfin, elle m’a dit « Voilà le film, fais avec !«
L. C. : Il fallait aussi l’accord de Kristin Scott-Thomas et Ryan Gosling mais il sont été adorables et m’ont laissée faire.
Avec du recul, est-ce que vous regrettez de ne pas avoir mis certaines choses ?
L. C. : J’avais beaucoup de scènes drôles entre Nicolas et Ryan Gosling, surtout des scènes où Ryan imitait Nicolas. Mais ça aurait déséquilibré le film. On verra dans les suppléments DVD.
On voit des moments où c’est Nicolas qui vous filme. C’était des improvisations ou des choses prévues ?
L. C. : C’est de l’improvisation totale. Je ne voulais d’ailleurs pas mettre ces images mais ma monteuse a insisté.
N. W. R. : C’est une manière de réagir car j’en avais tellement marre d’avoir sa caméra braquée sur ma gueule chaque putain de matin en me disant : « Bonjour, comment ça va aujourd’hui ?«
Au tout début, on voit Nicolas qui vous donne des conseils sur comment filmer, quel angle choisir. Cela a été comme ça tout le temps ?
N. W. R. : Je vais répondre à celle-ci. Le premier jour, je lui ai donné un conseil sur où se mettre pour me filmer. Elle m’a répondu : « Tu vas fermer ta gueule !«
L. C. : C’était tellement typique de lui de me dire comment filmer, de me diriger ! (rires) Après, ça a été terminé.
Finalement, quels sont vos meilleurs souvenirs ensemble à Bangkok ?
N. W. R. : Ryan Gosling t’a vu nue.
L. C. : Je n’ai pas vraiment aimé mon séjour à Bangkok. Je n’ai pas de très bons souvenirs là-bas.
Au début du film, on voit votre ami Alejandro Jodorowsky qui conseille à Liv de divorcer, puis qui conseille à Nicolas Winding Refn de faire abstraction de la réussite commerciale de ses films. Liv, vous n’avez manifestement pas suivi ses conseils. Nicolas, y êtes-vous parvenu de votre côté ? Car on sent dans tout le documentaire, que vous êtes obnubilé par l’accueil de vos films…
N. W. R. : Ce qui est intéressant avec Jodorowsky, c’est que dans notre monde actuel où « succès » veut dire « succès financier », dès que je commence à penser au succès car il faut qu’un film rapporte de l’argent pour pouvoir en faire un autre derrière, il est toujours là pour me rappeler de me concentrer sur ce que je veux vraiment faire car c’est ça l’essentiel. C’est typique de lui. Pendant le tournage de Neon Demon, que je viens de terminer, il m’a lu l’avenir dans les cartes de tarot tous les weekends. Il me considère comme son fils spirituel, nous avons une relation très proche. Mais je suis content que ma femme ne l’ait pas écouté et qu’elle n’ait pas divorcé !
L. C. : Nous avions juste besoin d’une thérapie de couple pour régler tout ça !
Justement, au début du film lors de la séance de tarots avec Jodorowsky, il vous demande ce que vous attendez de Nicolas. Vous avez réussi à trouver la réponse à cette question ?
L. C. : Il fallait qu’il réalise qu’il a besoin de moi, qu’il s’appuie beaucoup sur moi. Depuis Bangkok et depuis la thérapie de couple qui a suivi, beaucoup de choses ont changé. On fonctionne plus en équipe maintenant. Avant, il n’avait pas beaucoup d’argent donc il partait souvent pendant des mois pour ses tournages, on n’avait pas le choix. Maintenant, on a un peu plus le choix sur comment et où l’on vit… Ça fait bizarre, pour une fois, Nicolas est le beau mec à côté de moi, pas le sujet principal de la conversation. Ça change !
Nicolas, êtes-vous tout aussi angoissé par le succès de votre prochain film, Neon Demon ?
N. W. R. : C’est toujours pareil. Mais la créativité se nourrit de la peur. C’est un moteur naturel. A mes débuts, c’était la peur de ne pas pouvoir manger, payer le loyer… L’argent était un moteur de peur et de créativité. Moins maintenant. Il faut toujours se mettre dans la position d’avoir peur de perdre quelque chose. Mais quand on a réalisé ce qu’on souhaitait vraiment faire à 100%, on a gagné quoi qu’il arrive. Aujourd’hui par contre, le succès se mesure avec des chiffres. C’est l’opposé de la créativité. Pour répondre à votre question, oui, l’angoisse est toujours là, mais la peur est très motrice.
Vous évoquiez l’idée qu’à vos débuts, vous travailliez pour l’argent. On vous voit dans une scène du documentaire, aller à une avant-première avec Ryan Gosling en étant payés. Compte tenu de votre notoriété respective aujourd’hui, est-ce toujours aussi difficile d’avoir de l’argent pour faire des films ?
N. W. R. : Vous avez toujours besoin d’argent et c’est toujours difficile d’en avoir autant que vous le voudriez. Mais je suis quelqu’un de très autonome et je ne tourne jamais les scripts que j’ai écrits. Les producteurs ne savent jamais à quoi s’attendre au final avec moi. Le problème avec l’argent, c’est que pour chaque dollar investi, on a une responsabilité derrière. Pour un budget de 100 millions de dollars, vous devez faire tant d’entrées au minimum derrière, pour que le film soit rentable et pour avoir de quoi faire le film suivant. Si on fait un film à 4 millions, on a plus de flexibilité et le budget influe moins sur la créativité. L’argent ne doit jamais être un obstacle à la créativité. Parfois, il faut être un peu rusé avec l’argent. Comme vous l’avez vu dans le documentaire. Il y a eu cette fois où on m’a proposé de l’argent pour venir présenter Drive dans un festival à deux heures au Nord de Bangkok. Au début, on m’avait proposé 20.000 dollars. J’en ai parlé à Ryan et on a obtenu 40.000 dollars chacun si on venait ensemble. On avait besoin de cet argent car en Thaïlande, il faut sans arrêt soudoyer la police locale. Ça implique du cash. J’ai « vendu Ryan Gosling » en fait ! On a fait le tapis rouge et une femme est venue nous donner tout cet argent en liquide dans une valise. Je n’avais jamais eu autant de liquide entre les mains, il a fallu que je compte billet après billet, pour voir ce que ça faisait ! Mais quel que ce soit la taille du film, il faut de l’argent de toute manière. On est toujours prêt à se vendre pour avoir de l’argent au final !
Beaucoup de grands cinéastes ont eu évoqué l’influence de leur conjointe dans leurs choix. George Lucas par exemple, Paul Verhoeven aussi, qui avait dit un jour qu’il ne voulait pas faire Robocop car il trouvait le script stupide, avant que sa femme ne le convainque. Quelle est l’influence de Liv dans votre travail ?
N. W. R. : Par exemple, c’est Liv qui m’a persuadé d’engager Carey Mulligan sur Drive. Je l’avais vu dans un film mais c’est elle qui m’a convaincu. Je m’appuie beaucoup sur elle car elle a des opinions très tranchées. Il y a toujours une partie de moi qui recherche son approbation. Sur mon nouveau film que je viens de terminer (Neon Demon), au début, j’avais prévu un acteur et Liv m’a dit « Mais pourquoi tu veux un acteur aussi chiant dans ton film, il ressemble à une poupée. Ça n’a aucun sens. » J’ai changé de comédien du coup.
Dans votre documentaire, on voit Nicolas un coup déprimé, un coup euphorique, selon les humeurs du tournage. Est-ce qu’il est arrivé que son état vous contamine, que parfois vous doutiez à votre tour de ce que vous faisiez ?
L. C. : Non, je n’ai pas vu cela comme ça. Je ne suis pas très ambitieuse, je suis très différente de lui à ce sujet. Pour moi, j’ai entamé ce travail en me disant que je verrai bien où ça me mène. Si ça marchait, tant mieux, sinon, tant pis, poubelle. Ça n’a pas eu une grande influence sur moi. En revanche, sur notre famille, oui.
Nicolas, on voit dans le film que pendant la post-production de Only God Forgives, vous n’étiez pas satisfait de votre travail effectué à Bangkok. Avec le recul, le pensez-vous toujours ou est-ce une étape par laquelle vous passez à chaque fois, en vous disant systématiquement que vous auriez pu faire encore mieux ?
N. W. R. : Non, je suis très fier du film. Je pense que c’est un chef-d’œuvre. (rires) Dans le processus de création, il y a toujours ce moment où vous détestez ce que vous avez fait. C’est important aussi de regarder ce que vous êtes en train de faire de ce point de vue là. C’est bien de ne pas regarder votre film que dans une seule direction. Mais au final, j’en suis très content. Quelque-part, détester ce que vous faites est un moyen de réapprendre à l’aimer. Comme je tourne mes films de manière chronologique, tous les jours sont différents. Je suis parfois satisfait, parfois non. Et même les jours où je le suis, je trouve le moyen de ne pas l’être. C’est un moyen de toujours voir les choses différemment pour que le processus avance et que le film évolue. C’est comme un mariage. Il y a des jours où ça fonctionne, des jours où ça ne fonctionne pas. Mais ça permet d’avancer.
Il paraît qu’à Bangkok, vous avez fait venir un Shaman pour faire exorciser la chambre d’une de vos filles mais on ne voit pas cela dans le documentaire…
L. C. : C’est vrai qu’un Shaman est venu.
N. W. R. : Une de nos filles disait voir des fantômes dans une chambre précise, toutes les nuits. Elle hurlait et tout. En Thaïlande, c’est courant apparemment donc on nous a envoyé un Shaman. Ça n’a pas marché donc au bout de trois mois, on a déménagé. Et elle a dormi sans problème dès la première nuit.
Liv, il paraît que vous aimez beaucoup la musique. Curieusement, on a l’impression que votre utilisation de celle-ci dans votre documentaire, est assez proche de la manière dont Nicolas l’utilise dans ses films, dans Drive par exemple.
L. C. : J’ai eu de la chance que Cliff Martinez accepte de faire la musique. Pendant le montage, j’ai utilisé comme musiques temporaires, certaines de ses compositions pour Spring Breakers ou Drive. Quand il est venu, je lui ai dit que je voulais ça mais c’était compliqué pour lui de refaire la même chose mais différemment, alors elles sont restées.
Nicolas, dans le film, vous dites que vous ne voulez pas que Only God Forgives soit un film commercial. Est-ce que le film est une réaction provocatrice après Drive ?
N. W. R. : On ne va pas être hypocrite, on veut tous que nos films marchent et soient des succès commerciaux. En fait, je devais faire Only God Forgives avant Drive mais les choses se sont faites d’une manière que j’ai tourné Drive d’abord. J’aurai pu répéter Drive pour rechercher un succès similaire mais j’avais en tête le projet que je viens de terminer qui est Neon Demon. Sauf que pour pouvoir le faire, il fallait que je détruise ce que j’avais fait auparavant. Il fallait que je fasse autre chose. Le grand risque après un succès tel que Drive, c’est de vouloir courir après le succès et de se répéter. Je venais de faire trois films très forts sur la masculinité et l’idée était de d’émasculer le personnage masculin cette fois. Ryan Gosling a accepté de jouer un personnage à l’opposé de celui de Drive. Il est impuissant, faible, sous la coupe de sa mère. L’idée était de faire un film qui soit comme une installation pour repartir sur des bases radicalement différentes. Il y avait un tout petit budget, le film a d’ailleurs généré beaucoup de profits au final. Il ne faut pas oublier que pour pouvoir faire un autre film, le précédent doit avoir rapporté de l’argent. C’est essentiel. Voilà l’histoire de Only God Forgives.
Pensez-vous au final que le documentaire a fait office de thérapie et a fonctionné de ce côté là ?
L. C. : Oui, je le pense d’une certaine façon.
N. W. R. : On est ensemble depuis 20 ans, c’est la seule petite-amie que j’ai eu. Quelque-part, on peut dire que je suis sorti de ma mère pour rentrer dans Liv. (rires) Je dépends beaucoup d’elle et j’ai mis du temps à m’en rendre compte. Je crois que je ne pourrais pas fonctionner sans elle et on a étudié en thérapie comment survivre les 30 prochaines années… Enfin, c’est prévu non ?
L. C. : Oui, oui…
N. W. R. : Nos deux vies sont entrées en collision et j’ai compris que ce n’était pas que ma vie, mais aussi la sienne.
Quels sont vos projets Liv ? Avez-vous reproduit cette expérience sur le tournage de The Neon Demon ?
L. C. : Je ne sais pas du tout ce que je veux faire. Je n’ai pas de projets. Je voudrais faire un autre film, mais pas sur Nicolas…
Retranscription Mondociné.
Merci à The Jokers et Wild Side.