Durant le Champs Elysées Film Festival, nous étions quatre petit chanceux à obtenir une table ronde avec le réalisateur Alan Parker, papa de Midnight Express, Fame, Birdy, Mississippi Burning pour ne citer qu’eux. Un monsieur qui dégage une incroyable sérénité, très posé et qui a vraiment pris le temps de répondre à nos questions. Il avait fait le déplacement pour la projection durant le festival de son film L’Usure du temps.
Si vous deviez donner une définition du cinéma, quelle serait la vôtre ?
Oh mon dieu, quelle question typiquement française ! Je pense que le cinéma, c’est être capable de raconter des histoires à propos de la vie des gens. C’est être capable d’utiliser toutes les facettes artistiques en même temps pour y parvenir, car il faut comprendre l’écriture, la mise en scène, le jeu d’acteur, le son, la musique… Le cinéma est un art qui regroupe plein de facettes de l’art ensemble. Et être capable d’utiliser toutes ces facettes artistiques en même temps, est le stade ultime de la création. Désolé, c’est une réponse ennuyeuse à l’anglaise…
Il y a quelque-chose d’amusant chez vous. Votre cinéma a toujours été marqué par un profond raffinement visuel et musical. C’est d’ailleurs pas étonnant de vous voir aujourd’hui faire de la peinture. Pourtant, vous avez souvent répété que vous ne vous êtes jamais considéré comme un cinéaste mais plutôt comme un écrivain…
C’est probablement parce que j’ai commencé en tant qu’écrivain pendant des années. D’ailleurs, sur mon passeport, il est écrit « écrivain »… Désolé, je ne trouve pas mon passeport pour vous montrer. Mais il a toujours été marqué « écrivain », jamais réalisateur. Peut-être qu’il faudrait que je le change aujourd’hui. La raison, c’est que j’ai toujours trouvé que « réalisateur » sonnait un peu prétentieux. Pour moi, l’écriture est la base de mon travail et de ce que j’ai toujours voulu faire. Et réaliser, bien que j’ai commencé très jeune, a toujours été une sorte d’extension à mon travail d’écrivain. J’ai toujours considéré que l’écriture était ce qu’il y avait de plus important dans un film. Puis vous commencez à réaliser des films et ça consume votre vie et c’est difficile de vous considérer désormais comme un écrivain. Vous êtes un « réalisateur de film ». Mais au départ, j’étais embarrassé à vrai dire, de me qualifier de « réalisateur ». Peut-être parce que je ne me sentais pas sûr de moi à l’époque dans ce métier.
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Beaucoup de vos films ont été très mal reçus par la presse alors que le public a toujours été très enthousiaste. Aujourd’hui, avec le recul, comment percevez-vous l’acharnement dont vous avez été victime ?
Le truc c’est que c’est souvent comme ça quand vous faites des films comme ceux que j’ai pu faire, avec un point de vue très affirmé, fait selon une vision très personnelle du cinéma… C’était vrai en tout cas, notamment ici en France, où la critique était dominée par des gens aux mentalités un peu rétrogrades comme Les Cahiers du Cinéma, qui n’acceptaient jamais ce qui était un peu nouveau. Le public lui, était plus ouvert, il était en avance sur ces critiques. Il y a une expression française dont je ne me souviens plus mais qui donne en anglais : « Aucun véritable artiste ne devrait avoir peur de ce que les gens vont penser de son travail parce que vous l’avez fait et que vous y croyez ». Quand j’ai débuté, j’étais très sensible à ce que l’on disait de moi, comme à Cannes par exemple. Vous savez, après la conférence de presse de Midnight Express, il y a eu un photographe et une dizaine de critiques qui se sont jetés sur moi en hurlant. Il avait tellement détesté le film. J’étais jeune et je ne comprenais pas pourquoi on détestait à ce point mon travail, surtout Midnight Express. Et pourtant, il est resté en salles à Paris pendant presque 10 ans dans le même cinéma ! Finalement, le public était plus chaleureux que les critiques. Vous savez, quand vous faites un film, il sort dans plein de pays. Et dans chaque pays, il y a une vingtaine de critiques très en vue. Ça fait beaucoup de gens à contenter quand même. Et la vérité, c’est que vous ne contenterez jamais tout le monde parce qu’ils ont tous des goûts différents, des points de vue différents, des politiques différentes. Bon, aujourd’hui, je ne fais plus de films donc je suis très philosophe sur tout cela. Mais quand j’étais plus jeune, vous êtes touché par tout cela parce que c’est dur de faire un film, c’est deux ans de votre vie. Et des gens le voient en deux heures dans une salle obscure et ils jugent. Ça peut être vexant.
Quand on regarde vos films, on ne peut pas passer à côté de la performance des acteurs à chaque fois. On a cette impression que vous les pousser sans arrêt à se dépasser, à se transcender. Comment travailliez-vous avec eux pour parvenir à de tels résultats ?
En vérité, tous les acteurs sont différents. Donc je me devais d’être différent avec chaque acteur. Certains n’ont pas besoin d’aide, ils font leur truc. Par exemple, le film qui doit être projeté ce soir est avec Diane Keaton. Je n’avais pas besoin de lui donner la moindre indication. Elle faisait son boulot parfaitement. D’autres au contraire, vous devez tout leur expliquer. Chaque acteur a des besoins différents de la part du réalisateur. Je pouvais être leur meilleur ami, je pouvais être leur professeur, leur oncle bienveillant… Mais le plus important pour qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, ce n’était pas moi. La plupart des acteurs avec qui j’ai travaillé étaient très professionnels. Le plus important, c’était de leur créer un environnement de travail propice pour qu’ils puissent jouer en donnant le meilleur d’eux-mêmes. Il fallait juste éviter les conflits, bien que certains acteurs avaient besoin de conflits pour tout donner.
J’aimerai vous parler de votre dernier film, La Vie de David Gale. C’était la première fois que vous travailliez avec vos fils, pour la musique. Comment cela s’est passé et pourquoi à ce moment là de votre carrière ?
Ils avaient besoin d’un boulot ! Les deux étaient très différents, l’un était plus tourné vers la musique classique et l’autre vers le rock’n’roll. Je crois que c’est la seule fois où j’aurais pu travailler avec eux. J’en suis très fier car c’est une excellente bande originale. Mais l’avantage, c’est qu’ils n’étaient pas chers et ils avaient besoin d’un travail !
A l’exception de quelques films plus légers, vous avez globalement toujours été attiré par des projets difficiles et inconfortables, des projets qui seraient impossibles de faire ou de refaire aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs est-ce pour cette raison que vous êtes aussi emblématique d’une époque où le cinéma pouvait oser des choses. C’était une réelle volonté de votre part ?
C’était une époque plus courageuse. On pouvait y faire du cinéma qui avait des choses à dire. Et pourtant, mes films étaient des films de studio, pas des films indépendants. En fait, ma génération de cinéastes était une génération où nous devenions réalisateur car nous avions des choses à dire. On se servait de nos films pour affirmer des points de vue et des idées sur le monde, la vie, la politique. De nos jours, c’est ce que le cinéma devrait être d’ailleurs.
Justement, je voudrais vous demander votre regard sur le cinéma américain actuel. Est-ce qu’il y a des metteurs en scène que vous appréciez particulièrement ?
Oui. Il y a d’excellents metteurs en scène en activité aujourd’hui. Le système des studios a considérablement changé. Ils font des films pour viser la plus grosse audience possible et pour rapporter un maximum d’argent. Le truc du cinéma américain, c’est qu’il n’a jamais été prétentieux. Tout a toujours été une question d’argent. Et si les films intellectuels font de l’argent, alors ils font des films intellectuels. Si ce sont les films politiques qui rapportent, alors ils font des films politiques. Ils s’en foutent de ce qu’ils font. Aujourd’hui, c’est la mode des films avec des effets spéciaux et des super héros car l’audience est plus jeune. Les films plus sérieux se retrouvent plus à la télévision, comme HBO qui fait du très bon boulot. Aujourd’hui, j’aime beaucoup David Lynch, qui parvient à toujours être surprenant et à faire un excellent travail. Aujourd’hui, je ne m’intéresse plus trop à tout ce système. Seulement quand la période des Oscars arrive et qu’on reçoit tout ces DVD, pendant deux semaines, je regarde 30 films. Cette année, j’ai voté pour Birdman, un film absolument fantastique. C’est génial quand vous regardez un film en tant que cinéaste, et que vous vous dîtes : « Je n’ai pas la moindre idée de comment il a pu faire ci ou ça ».
Vous avez une carrière très éclectique et très riche. De quel projet êtes-vous le plus fier avec le recul ?
C’est une excellente question et je n’ai pas vraiment de réponse claire. J’ai fait quatorze films et je suis fier de tous. Il y en a aucun dont je ne suis pas fier. Certains n’aimeront pas tel film ou tel film, certains critiques aussi. Mais c’est bien quand vous regardez votre carrière et que vous rendez compte que vous aimez chacun de vos films. Peut-être parce que je n’ai rien fait que je n’avais pas envie de faire. Je n’ai jamais de film juste pour l’argent ou parce qu’on m’a dit de le faire. J’ai toujours eu une certaine liberté à l’européenne au sein du système américain, ce qui est inhabituel. J’ai eu vraiment beaucoup de chance. Bon, certains ont eu moins de succès que d’autres. Le film de ce soir (L’Usure du Temps – ndlr) est un film que j’aime énormément mais il n’a pas été un succès. C’était sans doute le film le plus personnel que j’ai pu faire. Après, il y a des expériences très différentes. Par exemple, j’ai fait Pink Floyd The Wall et Les Commitments. The Wall a été l’expérience la plus misérable que j’ai pu connaître dans ma vie. Les Commitments a été la plus joyeuse, au contraire. Comme quoi ça n’avait rien à voir avec le succès final. J’étais heureux et impatient de me lever le matin pour aller sur le tournage. The Wall, je n’ai pris aucun plaisir.
Vous avez été souvent auréolé pour les musiques de vos films, Fame, Evita… Vous avez travaillé avec de très compositeurs comme Giorgio Moroder, Michael Gore… Comment les choisissiez-vous et comment travailliez-vous avec eux ?
Les compositeurs avec qui j’ai pu travailler étaient tous très différents. Giorgio Moroder était un célèbre producteur, il avait travaillé avec Donna Summer etc… Pour Midnight Express, c’était la première fois qu’une BO avec de la musique électronique gagnait un Oscar. Giorgio était plus un ingénieur. Michael Gore, lui, faisait tout au dernier moment. Je me rappelle, on était en tournage dans une école, et il y avait un piano. Michael Gore me dit « j’ai une chanson qui est cool, tu veux écouter ? » Et il commence à jouer et à chanter « Fame, I’m gonna live forever lalala… » J’ai pensé que c’était la pire chanson que j’avais jamais entendue dans ma vie. Ça sonnait terriblement faux. Il m’a dit « Non, mais je ne suis pas un bon chanteur » . On l’a enregistrée et ce fut un énorme succès. Donc franchement, je ne sais vraiment pas ce qui fait le succès d’une bande originale. J’ai travaillé avec Andrew Lloyd Weber qui était très différent des Pink Floyd etc… Chaque expérience était très différente.
Il y a une thématique qui revient souvent dans votre filmographie, c’est celle de l’enfermement. Pas seulement l’enfermement physique, mais aussi l’enfermement mental, social… Il est question d’enfermement physique dans Midnight Express, d’enfermement mental dans The Wall, d’enfermement physique et mental dans Birdy, de lutte contre l’enfermement social dans Angela’s Ashes, d’enfermement dans la routine déchirante du couple dans L’Usure du temps… Était-ce quelque-chose de conscient ?
Non, je ne pense pas que c’était conscient. Vous savez, quand j’ai commencé à faire des films, j’ai fait Bugsy Malone puis Midnight Express, qui étaient deux films radicalement opposés. Du coup, les critiques ne savaient pas quoi penser de moi. Alors j’ai continué à faire des choses très différentes. Peut-être qu’inconsciemment, cette thématique était là mais pour être honnête, je n’y ai jamais vraiment pensé dans mon œuvre. Mais si vous le voyez, c’est une interprétation. En France, il y a cette philosophie qu’un réalisateur fait 20 versions d’un même film dans sa carrière. Et j’ai toujours été en désaccord avec cette idée car j’ai toujours voulu faire des choses très différentes à chaque fois. Et j’ai essayé de me frotter à différents genres, lieux, histoires, points de vue. Je voulais en permanence de la fraîcheur créative. Pour moi, se répéter et refaire le même film, même s’il n’est pas similaire au précédent, n’est artistiquement pas pertinent. Du coup, c’est votre interprétation mais ce n’était pas mon intention.
Vous avez eu dit justement que chacun de vos films était une sorte de réaction au précédent. Mais entre 1982 et 1988, vous avez enchaîné une série de films plutôt sombres, plutôt durs, comme Birdy, Mississipi Burning, Angel Heart, The Wall, L’Usure du Temps…
C’est vrai que dans cette période, j’ai fait deux films un peu similaires d’affilée, sur le racisme en Amérique (Mississipi Burning et Bienvenue au Paradis, qui se suivent dans sa filmographie – ndlr). Birdy avait beaucoup de variations de tons. C’était un film assez fun à faire. Le sujet est assez sombre mais il y a quand même des notes d’humour dedans. Après, quand j’ai fait Fame, j’ai fait un film tout en musique. Du coup, je ne voulais pas de musique dans mon film d’après. C’est pourquoi il n’y en a quasiment pas dans L’Usure du temps. The Wall a était une expérience tellement mauvaise que j’ai jamais voulu refaire de films de ce genre, ça c’est sûr. Angel Heart était assez sombre, c’est vrai. Après, j’ai enchaîné ces deux films assez politiques et très controversés aux États-Unis. J’avais vraiment envie de m’exprimer sur le racisme aux États-Unis, c’est pourquoi j’ai réalisé Mississipi Burning et après, j’ai écrit Bienvenue au Paradis. C’est probablement pour ça qu’après, j’ai eu envie d’un peu de légèreté et j’ai fait The Commitments. Mais globalement, j’avais des sujets très sérieux mais j’ai toujours essayé d’avoir un peu le sens de l’humour.
C’est vrai, et d’ailleurs, on voit votre sens de l’humour dans L’Usure du Temps. Il n’y a quasiment pas de musique dans le film mais par contre, il y a cette scène en voiture où les enfants chantent à l’arrière et ils chantent la chanson culte de Fame, votre film précédent !
(rires). Oui, et d’ailleurs, c’est intéressant car ils chantent Fame dans la voiture et je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans leur chambre, il y a un poster de… The Wall ! Qui est le film que j’allais faire après !
Retranscription par Mondociné.
Merci à l’équipe du Champs Elysées Film Festival.
Interview co-réalisée avec Regardez-moi ça, Le Bleu du miroir et Mondociné.