Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas invité à diner et j’ai le plaisir d’accueillir le talentueux Fred Teper aka Cliffhanger qui nous parle de son amour pour l’écriture et la littérature. Ne soyez pas effrayé par la longueur (j’ai fait pire toute façon), c’est terriblement passionnant.
Je ne me souviens pas de la date exacte, elle s’est effacée de ma mémoire, mais je ne devais pas être très âgé la première fois où je me suis essayé à l’écriture. Enfin sérieusement en tout cas. Avec l’idée bien arrêtée d’être publié, de devenir une star de l’édition, de signer des autographes à la chaîne… Bon je n’avais sans doute pas plus d’une dizaine d’années cette fameuse première fois, mais je pense qu’au fond de moi je voulais déjà devenir écrivain. Je me rappelle du cahier dans laquelle j’avais écris cette première histoire opportunément nommée pour un polar « Vol de diamants, Une enquête de Tom Brady » ! Bon ok je l’avoue, j’étais biberonné aux séries télé policières, c’est un genre qui me parlait (qui me parle toujours d’ailleurs) donc je n’étais pas allé chercher plus loin (J’étais tout gamin je le rappelle, je n’allais pas me lancer dans un drame romantique, une fresque historique ou un récit ancré dans le social). Donc ce premier roman (et oui on peut être tout minot et voir les choses en grand) qui devait avoisiner les 10 ou 12 pages, j’y ai mis le point final, avant de le porter à un éditeur (bon en l’occurrence mon parrain qui était de passage chez mes parents), qui l’a lu d’une traite en 5 minutes chrono (j’écrivais gros à l’époque), et dont la sentence est tombée, implacable : « Peut mieux faire mon grand, c’est quand même très classique » ! Un peu vexé, j’ai repris mon cahier et rangé dans un tiroir mes rêves de gloire. Je venais de tomber face à la critique. C’était mon premier rapport étroit avec la littérature. Ce ne serait pas le dernier.
Quelques années ont passées, j’écrivais toujours mais plus parcimonieusement et moins dans une optique pro (je serais journaliste ciné de toute façons, aucun doute à avoir), j’ai lu des dizaines et des dizaines de bouquins et puis un jour, dans une librairie, je suis tombé nez à nez avec un livre intitulé Maudit Manège. Un bon pavé. Je l’ai lu bien sûr enfin non je l’ai absorbé, et là j’ai eu l’un des chocs de ma vie. On pouvait donc parler de l’Ecriture, de la littérature, de l’amour, de la vie, de sexe aussi et tout ça dans un même bouquin. Un livre qui distillait une philosophie de vie, dont des dizaines de phrases pouvaient devenir des citations à appliquer chaque jour, un livre dont j’avais la sensation diffuse que l’auteur, l’avait écrit pour moi. J’ai découvert plus tard que ce livre était la suite de 37, 2 le matin qui venait de triompher sur les écrans (1986 oula ça ne nous rajeunit pas tout ça, enfin surtout moi) et que Philippe Djian, l’auteur n’en était pas à son coup d’essai. Ivre de joie, je fonçais chez mon libraire et achetais tous ses livres déjà parus soit 4 titres que je dévorais à toute allure. Dès lors démarrait un cérémonial qui continue toujours aujourd’hui. Attendre chaque nouveau roman de Djian, la bave aux lèvres, foncer dessus dès le jour de la sortie et s’en régaler comme toujours (bon j’ai eu quelques déceptions à travers le temps mais le cérémonial lui est toujours le même et l’excitation également). Au fil des années d’autres écrivains ont télescopés mon âme de fanboy et le cérémonial instauré avec Djian, s’est propagé à quelques autres auteurs avec par ordre d’apparition : Philippe Labro, Vincent Ravalec, Yves Simon, Olivier Adam… Voici les cinq emblématiques de ma bibliothèque, il y en a d’autres, mais j’emmènerais sur une île déserte tous les livres de ces cinq là juste pour pouvoir survivre.
A l’époque où j’ai découvert Djian, ce diable d’homme a secoué en moi une fibre un peu endormie depuis l’affaire du vol de diamants. J’avais 15 ans et je voulais écrire comme lui. Donc je me suis lancé dans la rédaction d’un roman. Un vrai de vrai. Fini le polar bancal et mal fagoté, bonjour le livre romantique et exalté que ma jeunesse réclamait. Et comme Djian était un rebelle étiqueté ridiculement écrivain rock, et bien je le serais également. Ah la jeunesse, la naïveté de ses 15 ans !!! Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais je ne faisais que singer mon écrivain favori, j’écrivais comme lui (enfin en beaucoup moins bien). Peu importe finalement, en art avant tout, nous sommes des éponges qui absorbons nos inspirations avant de les assimiler et de les recracher arrangées à notre sauce. Bon sauf que moi j’étais plus proche du plagiat. Involontaire. Mais oui peu importe, car je le savais désormais, l’Ecriture serait ma vie, je serais écrivain. Car la rédaction de ce livre m’a surtout appris que j’adorais écrire, que cela m’était nécessaire, comme respirer, que j’écrivais pour me sentir vivant, pour m’aider, pour extérioriser mes démons, pour me libérer des poids qui m’étouffent et que en fin de compte, ce que j’écrivais avait un succès relatif auprès de…mon ego. Car bien sûr ce roman personne ne l’a lu. Jamais. Et personne ne le lira jamais. C’était le brouillon de ma vie, de ce que j’allais devenir, ça recelait déjà tout ce que j’étais, mais c’était naïf et gauche et pas très intéressant, comme peut l’être un gamin de quinze ans. Vous êtes toujours là ? Je ne vous ai pas perdus ? Allez rassurez vous je ne vais pas énumérer encore et encore toutes mes expériences en la matière ! Juste que j’ai continué à écrire, j’ai écrit un livre et demi supplémentaire, quelques nouvelles et des centaines de poèmes (que ne ferait t-on pas pour séduire les filles ?), que j’ai tenté sans succès de me faire éditer à quelques reprises, mais au final, même si j’y crois encore quelque part dans le fin fond de mon cœur, ce n’est pas très grave de ne pas avoir percé dans ce milieu. Ca m’a permis d’écrire ce que je voulais, ce que je ressentais, sans que personne jamais ne mette son grain de sel dans ma folie. Ca m’a permis et ça me permet encore de prendre un plaisir immense dès que j’écris, que je ne le vis jamais comme une obligation (enfin sauf les démarches administratives, les mails de réclamation ou autres obstacles qui nous pourrissent régulièrement l’existence). J’ai toujours adoré écrire. Peut être parce que j’ai toujours adoré lire. Et que les deux sont intimement liés, que l’un ne va pas sans l’autre quelque part, que les replis intimes de mon âme réclament ces activités avec acharnement. C’est drôle, je termine ce papier et je me rends compte pour la première fois que mon quintette de cœur en terme de littérature a un rapport très intime avec le cinéma. Djian-Labro-Ravalec-Simon-Adam, ils ont tous écrit pour le cinéma, réalisé ou participé à des films. Et moi désormais j’écris sur le cinéma. Mais ça c’est une autre histoire. Celle de mon prochain roman qui sait ?!
Fred Teper
Emission France Inter Philippe Djian sur l’art d’écrire