J’en vois déjà venir qui vont crier au scandale, qui vont s’insurger la tomate à la main « comment tu peux dire ça de The Revenant ?! C’est du génie, un chef d’œuvre, que dis-je un monument !! ». Autant vous l’avouer tout de suite, histoire de râler un bon coup : je fais partie de cette minorité qui n’a pas été emballée par le nouveau film d’Alejandro Iñárritu. C’est comme ça, faudra vous y faire, les œuvres quelles qu’elles soient ne peuvent pas plaire à tout le monde. La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que je sais pourquoi je n’ai pas été retournée.
C’est incontestable tellement c’est flagrant : The Revenant est un bijou de photographie et de réalisation. Il n’y a rien à redire. Pour ceux dont l’information leur aurait échappé, le film est entièrement tourné en lumière naturelle. Iñárritu nous gratifie d’entrée de jeu d’un somptueux plan séquence épique, faisant virevolter la caméra d’un personnage à un autre, glissant dans cette scène aux décors réels telle une ballerine sur scène, nous gardant à la fois spectateur de l’action par ses déplacements et ses plans larges, mais également dans l’action par ses plans rapprochés. Ces derniers sont d’ailleurs régulièrement présents dans le film, appuyant la proximité et la respiration. Quant aux décors, ils sont tout simplement sublimes et grandioses, des paysages à couper le souffle, une nature brute en guise de scène pour la nature brutale de l’être humain et de l’animal.
Seulement voilà, une réalisation ultra léchée est-elle suffisante pour faire un film ? Toujours pas. Même si celle-ci est réalisée avec beaucoup de technique, on ne va pas se le cacher, il se mate quand même pas mal le nombril le Iñárritu, aux dépends du reste. Et je vais même pousser le bouchon plus loin Maurice, il a voulu nous faire une performance de metteur en scène et ça se voit ! The Revenant est une performance de réal’ égocentrique qui souhaitait en mettre encore plus plein la vue après son excellent Birdman. Pas la peine de vous énerver derrière votre écran ! C’est très beau, on vient titiller Malick (la philosophie à deux balles en moins), on s’éclate à se dire « mouais attends Manuel (Emmanuel Lubezki, le directeur photo), je vais te faire passer la caméra comme ça, puis comme ça, le soleil va passer dans l’image te donnant une sur-exposition et blabla, ça va être souperbe ma chérie ». C’est cool Alejandro, c’est magnifique de voir à quel point tu maîtrises ta mise en scène, à quel point tout est millimétré et calculé à l’avance comme si tu étais un canon de beauté qui veut à tout pris plaire par son physique. Mais les émotions, elles sont où ?! Parce que je les cherche toujours !
La grande faiblesse de The Revenant est qu’il ne s’en dégage rien. C’est parfois dégoûtant (manger de la viande crue, c’est bon pour la santé) et violent, toutefois, Leo qui se démène dans la neige, blessé par un ours (idem, rien à dire sur l’esthétique et la réalisation de l’attaque de l’ours) pendant 3h de film, bavant et gémissant, je suis navrée de vous le dire, mais j’ai ressenti aucune empathie. Bah oui, c’est comme ça ! Et je vais en rajouter une couche : ce n’est pas non plus sa meilleure performance. Comme ça, vous pouvez me détester pour de bon ! Un acteur qui se surpasse, pour moi, va me faire oublier l’acteur justement et va me faire vivre des émotions, or là, j’ai eu ni l’un, ni l’autre. Idem pour Tom Hardy, voire pire, il manque terriblement de profondeur. La question est : est-ce qu’Iñárritu a laissé ses acteurs en roue libre ou est-ce qu’il les a mal dirigés ? Mon confrère du Bleu du miroir a exprimé une réflexion pertinente sur DiCaprio : « À qui cela importe-t-il que le tournage ait été si éprouvant ? Faut-il qu’un acteur mange un foie de bison pour juger son interprétation plus convaincante ? Juge-t-on le film ou sa conception ». On en serait presque à se demander jusqu’où l’acteur aurait-il pu aller pour la performance ? Comme son réalisateur finalement, qui pousse aussi loin qu’il peut pour en mettre plein la vue.
Je n’ai pas parlé du scénario, qui, avouons-le, n’est pas mirobolant là où Birdman avait des couches et des couches de compréhension et où le décor, les acteurs, l’histoire et la réalisation étaient fusionnels. Ici, il n’y a rien qui s’entremêle. Il y a bien un fond que j’ai perçu où le rapprochement est fait sur la nature humaine et celle de l’animal, violente et sans concession, seulement l’animal défend sa progéniture alors que l’homme défend souvent ses propres intérêts. Dans le contexte, Hugh Glass (Leonardo DiCaprio) est prêt à tout pour protéger son fils, alors que John Fitzgerald (Tom Hardy) n’a d’yeux que pour l’argent. La sauvagerie sous deux angles. Autre point récurrent : la respiration, synonyme de vie et de survie, c’est elle qui est censée rythmer le film et accentuer la présence du spectateur dans l’action ; vous vous prenez le souffle dans la figure, vous pourriez presque sentir la chaleur de celui-ci face au froid glacial de l’atmosphère enneigée.
The Revenant aurait pu être grandiose, aurait pu être bien plus rythmé, il aurait pu nous bousculer émotionnellement et pas que visuellement. Nous aurions pu retenir notre haleine dans cette quête de vengeance plutôt tranquille. Nous aurions pu voir les acteurs être animés par la bête féroce qui est en eux. Malheureusement, le film d’Alejandro González Iñárritu est une balade dans la neige, un peu rude à faire à pieds et surtout particulièrement longue, mais qui a le mérite de faire voir du pays.
Sortie en salles le 24 Février 2016.
http://www.imdb.com/title/tt1663202/?ref_=nv_sr_1