Fable moderne pour personnes en quête d’elles-mêmes, en quête des autres, en quête d’importance.
Tout part d’un point bleu pâle : la Terre dans l’immensité. Petit point vu par la sonde Voyager en 1990. Réduisant nos milliards d’êtres humains à… rien. À un simple point dans cet univers, tel l’être humain au milieu d’une foule de milliards d’invidus. Men, Women & Children regorge de sujets et d’interrogations à portée philosophique plaçant les relations sociales, la perception du monde face à l’individu en tant qu’être singulier.
Deux messages ressortent, le premier, la connexion sociale grâce à internet, élargissant la sphère de la communication de la proche proximité au monde entier, repoussant les limites et transformant l’inaccessible, l’irréel en quelque chose de palpable. L’impossible devenant possible : trouver une escorte, regarder du porno, rencontrer de nouvelles personnes. Tout est accessible en un clic. Cette sur-connexion pose aussi le problème des limites : à partir de quel moment je peux entraver la loi ? Ce que je peux ou ne peux pas dire, quelles photos poster ? C’est aussi une dimension bien plus grande sur la falsification d’identité : nombreux sont ceux qui ont leur compte Facebook piraté par des copains voire par des inconnus peu scrupuleux. Constat nous renvoyant à notre identité, à quel point sommes-nous maîtres de notre identité virtuelle ? Et puis, le nez sur son téléphone intelligent, bercés par des vidéos, nous fait clairement passer à côté des choses de la vie, les vraies, celles qui se passent IRL (In Real Life – Dans la vraie vie). Jason Reitman pointe l’outil Internet comme un briseur de réalité, outil qui accroît la distance par le manque de communication (exemple que nous avons tous vécus et que nous continuons de vivre : faire passer des messages subliminaux par Facebook ou Twitter, à renfort de statuts subjectifs ou de chansons aux paroles explicites), outil qui déforme la réalité (le fossé entre la pornographie et de vraies relations intimes). Le film met en exergue cette perte de soi et ce manque d’importance de nos actes : l’humiliation, la destruction, la perversion, les vices sont tellement plus faciles d’accès. Et les conséquences dans tout ça ? Je ne peux pas vraiment vous révéler certaines situations du film, mais parfois, certaines lueurs d’espoir subsistent, là où la facilité aurait triomphé.
Le second message de Men, Women & Children se situe, comme je le disais plus haut, sur l’être en tant que tel, reprenant ce point bleu pâle à travers le livre de Carl Sagan (inspiré de la fameuse photo de Voyager) : cette importance que nous avons, perdue entre mille. Trouver sa place dans cette cohue, essayer de se détacher de cette sur-connectivité, prôner l’individu (et non l’individualisme) et finalement la différence. L’affiche en est un parfait exemple : vivre loin de son téléphone fait-il de nous des êtres différents ? Des êtres esseulés ? Des êtres oubliés ? Au contraire, c’est se rapprocher les uns des autres, se lier, par des contacts physiques et verbaux. C’est aller à l’essentiel, à la simplicité sans passer par le paraître, sans passer par ce mur qu’est l’écran, barrière imaginaire et très efficace contre la sensibilité et les émotions réelles.
Au fond, Men, Women & Children prouve, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, qu’au fond, nous avons beau être tous connectés, nous restons profondément seuls, préférant consciemment ou inconsciemment entretenir une relation avec notre téléphone/tablette/ordinateur par peur d’affronter la réalité. Et pourtant, le virtuel est une forme de réalité, moins palpable, plus dangereuse même. Combien ont eu leurs mots mal compris sur un email ou un sms ? Alors que le message serait correctement passé par une communication en face à face, évitant ainsi des conflits. Combien ont eu leur vie brisée par des personnes peu scrupuleuses se faisant passer pour d’autres personnes ?
Hormis ce fabuleux message, la bande originale est d’une pure beauté et les acteurs (Ansel Elgort, Kaitlyn Dever, Jennifer Garner, Adam Sandler, Rosemarie DeWitt, Judy Greer) d’une rare sensibilité, comme s’ils étaient eux-mêmes touchés par le sujet. Qui ne le serait pas ? Et puis ce montage, alliant film et accès direct à Internet en sur-impression de l’image, met directement le spectateur dans les quêtes virtuelles des personnages, nous confrontant – à contrario d’eux – à leurs soucis bien plus profonds, sorte de prise de conscience.
Jason Reitman, tu as raison, c’était tellement mieux avant.
Sortie en salles le 10 décembre.